Parachat Michpatim
Rigueur et miséricorde
La Guemara enseigne: « Celui qui veut acquérir la sagesse doit étudier les lois des dommages ». En effet, les passages talmudiques sur ce sujet y sont très riches en nuances, et sont basés sur la logique la plus rigoureuse.
Et, pourtant, certaines lois sont déconcertantes.
A propos des dommages causés par un feu que l’on a oublié d’éteindre, nos Sages nous enseignent à partir du verset de notre Paracha[1]: « Quiconque a allumé le feu paiera la motte de foin », que celui-ci ne paiera que la motte de foin. Et que, si des objets précieux y étaient cachés, il ne devra pas les payer.
Comment se fait-il que l’incendiaire ne soit pas tenu de payer ces objets précieux, bien qu’il ait causé directement leur destruction par le feu qu’il a allumé? Le propriétaire n’avait-il pas le droit de poser ses objets où il le désirait?
On enseigne par ailleurs1: » Si un homme a creusé un puits et qu’un animal vient à y tomber et à s’y blesser, celui qui a creusé le puits devra dédommager le propriétaire de l’animal ». Et la Guemara ajoute: « Il ne devra payer que le dommage causé à l’animal, et non les objets qui se trouvaient sur l’animal et qui se seraient cassés au moment où la bête est tombée ».
C’est pourtant la même cause qui a provoqué les dommahges causés à l’animal et aux objets. Pourquoi le propriétaire ne paye-t-il que le dommage causé à l’animal?
On enseigne encore dans le traité Baba Kama: « Il existe une différence entre deux cas, le premier, lorsqu’une bête, entrée dans le champ du voisin, cause un dommage en écrasant avec ses pieds des objets s’y trouvant; le deuxième, lorsque ce même dommage est causé par des pierres que la bête projette. Le propriétaire doit payer, dans le premier cas, la totalité du dommage; dans le second, la moitié du dommage ». Ici aussi, la responsabilité du propriétaire qui a mal gardé sa bête est la même, que la bête ait cassé l’objet en l’écrasant ou en projetant une pierre sur cet objet. A ce propos la Guemara, elle-même, s’interroge[2]: « Logiquement on ne doit pas faire de différence entre un coup donné directement par la bête et un coup provoqué par son énergie en l’occurrence, le caillou lancé par elle. Néanmoins, si en vérité la différence existe, c’est de la Halakhah Lémoché Misinaï, une loi que D-ieu a donnée à Moché au Sinaï », en d’autres termes, une loi qui n’aurait pas sa source dans la logique juridique, mais aurait une origine religieuse qu’on ne peut comprendre d’un premier abord.
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Ceci nous amène à penser que toutes les lois qui concernent les relations entre les hommes, les lois du Hochène Michpath, ne sont pas seulement l’oeuvre de la logique humaine. C’est peut-être d’ailleurs ce qu’exprime le premier verset de la Paracha de Michpatim: « Et voici les commandements que vous mettrez devant eux ». Rachi explique les termes « devant eux » et dit: « C’est pour nous enseigner que, lorsqu’on a un procès avec un autre Juif, il ne faut aller que devant eux, c’est-à-dire devant des juges juifs, et non devant des juges non-juifs, même si nous savons que, sur cette question particulière, ils jugent de la même manière ».
Mais peut-être peut-on expliquer ce verset différemment: le début de la Sidra parle des « Michpatim« , des lois qui concernent les hommes, et à ce propos la Thora nous met en garde en ces termes: « Ne crois pas que ces lois que je te donne ici sont différentes de celles qui, telle la Cacherouth, ne peuvent être que d’origine divine. Ne crois pas qu’elles sont d’origine purement humaine et qu’elles pourraient donc s’appliquer aussi bien aux Juifs qu’aux non-Juifs. « Non », nous dit la Thora: « Que tu mettras devant eux », signifie que toutes ces lois ces Michpatim ne peuvent être comprises que par les enfants d’Israël, qui savent qu’il y a une « réflexion » au-delà de leur réflexion, et qui acceptent donc que, pour régir les lois des hommes, on doive se référer à une loi d’origine divine.
Et c’est aussi ce qu’exprime le premier commentaire de Rachi de la péricope: « Veélé
Hamichpatim », et voici les commandements. Rachi commente: « Tout comme les dix Commandements ont été donnés au Sinaï, ainsi, ces commandements-là ont été donnés au Sinaï ».
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Il me semble que par ces lois particulières, la Thora enseigne que les rapports entre les hommes ne sont pas régis selon des critères sur la rigueur et de la logique uniquement: si quelqu’un a causé un dommage, que cela soit fait directement par son corps, que cela soit fait par l’intermédiaire d’un objet, que cela ait été le fait d’un obstacle qu’il a placé sur une route, d’un feu qu’il a mal surveillé, la logique nous dit: il est responsable de tous les dommages que sa mauvaise conduite aurait entraînés. Sa responsabilité est entière. La Thora nous apprend que les rapports entre les hommes ne doivent pas être dictés uniquement par la rigueur et la logique, puisqu’il faut y ajouter la miséricorde. L’homme étant faible, on ne peut lui imputer tout ce qu’il a causé. Aussi, la Thora a-t-elle édicté le principe suivant: plus le dommage est en relation indirecte avec le responsable – non que sa responsabilité sur le plan de l’erreur qu’il a faite soit moins grande – plus alors on imputera le dommage qui a été causé au malheur, au hasard, qui vient du ciel, où la responsabilité de l’homme est alors moindre.
Et c’est ce qui fait que nous voyons dans la Halakhah: « Adam Mouad Leolam », l’homme est toujours responsable. S’il a fait un dommage par son propre corps, qu’il ait fait en étant éveillé ou en dormant, il devra toujours réparer le dommage qu’il a causé. Mais s’il a fait le dommage par l’intermédiaire de sa propriété, d’un animal par exemple, sa responsabilité juridique doit être amoindrie (bien que, « logiquement », sa faute, sa « responsabilité », puisse être la même). Et si sa bête a fait un dommage par l’intermédiaire d’un objet, d’un caillou qu’elle aura projeté, on ne lui fera payer que la moitié du dommage.
De la même manière, s’il a creusé un puits, on ne lui fera payer que ce qui est susceptible d’être blessé par le fait du puits, à savoir des êtres qui se meuvent, et non ceux qui ont été amenés aux puits par les premiers.
De même, pour le feu, il ne paiera que les choses qui logiquement devaient être à l’emplacement où l’incendie s’est déclaré. D-ieu a donc limité la responsabilité juridique du dommage causé par le feu mal surveillé aux choses qui, par nature, devaient se trouver là, à l’exclusion du reste.
Il s’agit donc d’une intervention de la miséricorde dans la loi, dans les Michpatim.
C’est pourquoi nous disons que les Michpatim ont été donnés à Moché au Sinaï, pour le peuple juif, le peuple miséricordieux.
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Nous pouvons comprendre alors l’adage suivant de la Guemara: « Que celui qui veut devenir miséricordieux apprenne les lois des dommages ! ».
Rav S.D.Botshko